The United Nations Office for Project Services (UNOPS)

Opinion

Accepter le dépassement de 1,5 °C violerait l’accord de Paris et porterait atteinte à l’intégrité même de la coopération internationale

Article d’opinion de Jorge Moreira da Silva, Secrétaire général adjoint des Nations Unies et Directeur exécutif de l’UNOPS, publié dans Le Monde – 10 novembre 2025

Ce texte est écrit depuis la Jamaïque, où les ravages causés par l’ouragan Melissa, la tempête la plus puissante à jamais avoir frappé le pays, sont considérables. Cent vingt communautés ont été touchées, et les dégâts sont évalués à environ 7 milliards de dollars. Un tiers du PIB du pays vient de disparaître. Il s’agit, une fois de plus, d’un rappel brutal de la vulnérabilité des petits États insulaires en développement face à une crise qu’ils n’ont pas provoquée. Ces pays paient la facture climatique d’émissions produites par d’autres.

Cette dévastation est également un avertissement à l’égard des enjeux de la COP30, qui s’ouvre à Belém, au Brésil. Les dirigeantes et dirigeants du monde entier resteront-ils fidèles à l’esprit et à la lettre de l’accord de Paris sur le climat, en maintenant la hausse de la température mondiale sous les 1,5 °C d’ici à la fin du siècle ? Où commencerons-nous à accepter le nouveau discours du « dépassement inévitable » et à envisager de corriger le tir plus tard ? Il n’y a qu’une seule avenue possible, car accepter le dépassement violerait non seulement l’accord de Paris, mais porterait également atteinte à l’intégrité même de la coopération internationale.

Ma carrière est étroitement liée au thème de l’action climatique. Au début des années 2000, en tant que membre du Parlement européen, j’ai participé à l’élaboration du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne et j’ai été rapporteur dans le cadre de la ratification du protocole de Kyoto par l’Union européenne.

Plus tard, en tant que ministre de l’Environnement et de l’Énergie portugais, j’ai pris part aux négociations qui ont débouché sur l’Accord de Paris, en 2015. Je me souviens très bien de ce qui avait été consenti : passer de l’approche descendante de partage des charges prévue par le protocole de Kyoto à un système inclusif et ascendant. Chaque pays déciderait de sa propre « contribution déterminée au niveau national », mais tous travailleraient collectivement pour parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050 et pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici à 2100. Les progrès seraient examinés tous les cinq ans dans le cadre de bilans mondiaux.

Que s’est-il passé en réalité ? Le bilan mondial de 2023 a montré que nous sommes loin d’atteindre nos objectifs et que le monde est sur la voie d’une hausse des températures de 2,5 °C à 2,9 °C. En vertu de l’accord de Paris, les pays devaient réviser leurs contributions déterminées au niveau national d’ici à 2025 afin de combler cet écart. Ce n’est pas ce qui s’est produit. À la date butoir du 28 septembre, seulement 120 pays avaient annoncé de nouveaux objectifs, et à peine 65 d’entre eux les avaient officiellement soumis.

Le dernier rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions du Programme des Nations Unies pour l’environnement confirme ce que beaucoup craignaient : le monde est toujours sur la voie d’un réchauffement de 2,3 °C à 2,5 °C d’ici à 2100. Au lieu de réduire les émissions de 55 % d’ici à 2035, les engagements actuels ne mèneraient qu’à une réduction de 10 %.

Faire preuve de cohérence

Alors que faire ? Devrions-nous accepter le mantra du « dépasser maintenant, corriger plus tard » comme étant la nouvelle norme ? Absolument pas. Nous sommes face à un échec collectif ainsi qu’à une violation morale, politique et probablement aussi juridique de l’accord de Paris – bien que certains pays aient fixé des objectifs ambitieux qui méritent d’être reconnus. Cet échec sape non seulement les politiques climatiques, mais met également en péril l’intégrité de l’Accord de Paris.

La solution est évidente : plutôt qu’un acte de foi incompatible avec les preuves scientifiques, les gouvernements doivent recommencer à zéro et présenter de nouvelles contributions déterminées au niveau national conformes à une réduction des émissions de 55 % d’ici à 2035 et à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici à 2100.

Seulement, pour faire preuve de cohérence, les pays ne doivent pas limiter leurs actions au tracé de leurs frontières. L’objectif de 1,5 °C, qui n’est pas un choix arbitraire mais une limite physique et scientifique fondée, ne peut être atteint qu’avec un grand élan de solidarité envers les pays en développement. Cela signifie qu’il est nécessaire de débloquer au moins 1300 milliards de dollars par an pour financer des mesures d’atténuation et d’adaptation ainsi que pour remédier aux pertes et préjudices liés aux changements climatiques.

L’action climatique n’est pas seulement urgente et nécessaire. Elle est également bonne pour l’économie. Les énergies propres sont aujourd’hui la source d’électricité la plus abordable sur la plupart des marchés, elles stimulent l’innovation, renforcent la sécurité énergétique et créent des emplois.

La question qui va définir la COP30 est donc la suivante : les dirigeantes et dirigeants prendront-ils des mesures décisives pour corriger la trajectoire dès maintenant, conformément au consensus scientifique, ou verrons-nous émerger un nouveau discours politique sur les possibilités d’y remédier plus tard, transmettant ainsi le fardeau à la prochaine génération ? Ne blâmons pas l’accord de Paris pour son manque de résultats. Nous devons simplement honorer cet engagement. Belém doit ramener le monde sur la voie du 1,5 °C.


À lire également